Author of a prizewinning biography of Jacques Rigaut, Bitton sheds light on the relationship between two great suicides of 20th century French culture. Pierre Drieu la Rochelle immortalized his sometime friend Rigaut, who had taken his own life in 1929, in his novel Le Feu Follet. In 1945 Drieu was to follow suit. The article appears in the author’s native language.
Au petit matin du samedi 9 novembre 1929, sous une pluie battante, Drieu la Rochelle quitte Paris pour rejoindre Châtenay-Malabry. Il n’écoute pas le chauffeur de taxi qui lui parle mécanique. Derrière les vitres ruisselantes de la voiture, il regarde défiler le morne paysage de la banlieue – « les banlieues c’est la fin du monde ». La veille, il a versé des larmes, quand on lui a annoncé la mort de son ami Jacques Rigaut, qui s’est suicidé dans sa chambre de la clinique de la Vallée-aux-Loups. Des larmes de crocodile, selon lui. « Je suis une pleureuse », écrit-il dans un texte à l’attention de son ami défunt. Un mea culpa déchirant dans lequel il tente d’exorciser le sentiment de culpabilité qui l’étreint. Des excuses malgré tout alambiquées auxquelles il donne le titre d’« Adieu à Gonzague », prénom du personnage de sa nouvelle La Valise vide publiée dans La Nouvelle Revue française en 1923, un portrait-charge de Rigaut. Avant de suivre le cortège funéraire jusqu’au cimetière de Montmartre, Drieu enfouit cette confession ambigüe dans le tiroir de son bureau, d’où son biographe l’exhumera en 1963. Au verso de la dernière page du manuscrit, cette phrase isolée où Drieu avoue enfin son crime : « Je l’ai tué je le sais bien, nous mourrons de l’impuissance de nos amis. » Un aveu qu’il réitérera deux mois plus tard. « Je t’ai tué Rigaut j’aurais pu te prendre contre mon sein et te réchauffer », notera-t-il dans son agenda, à la date du 5 janvier 1930. Le désarroi de Drieu devant le cercueil de son ami qui s’enfonce dans la terre détrempée n’est pas feint. Quelques semaines avant le suicide de Rigaut, en voyant des feuillets manuscrits sur le bureau dans la chambre de la clinique, ne lui avait-il pas lancé : « Pas la peine, n’insistez pas, vous ne pourrez jamais écrire ».
Drieu n’a pas voulu voir la valise pleine de manuscrits qu’avait laissée Rigaut sous son lit. Le 1er aout 1930, Jean Paulhan publiera dans la NRF quelques fragments de ces manuscrits sous le titre de Lord Patchogue, « C’est une œuvre qui mérite de rester », souligne le directeur de la revue des éditions Gallimard. Drieu qui craignait de passer pour un littérateur, enviait secrètement l’apparente désinvolture de Rigaut avec l’écriture. L’amitié Drieu-Rigaut ne connaitra jamais la complétude. En amour comme en amitié, Drieu a le goût du malentendu qu’il érige en règle de vie. Avec Rigaut, Drieu joue au jeu du chat et de la souris, une relation parfois teintée de sadomasochisme, mais toujours dans le registre « Je t’aime moi non plus ». Drieu est littéralement fasciné par Rigaut. Il lui envie sa vitalité, sa beauté physique, sa nonchalance et son détachement. « Rigaut, superbe, sculptural. Drieu calvitie, lunettes », écrit-il à une amie. Ne pouvant le saisir, le comprendre et lui ressembler, Drieu va s’emparer de Rigaut en faisant de lui un héros négatif de fiction, dans une sorte de cannibalisme littéraire, dont il ne sera jamais rassasié. En 1931, le roman Le Feu follet viendra enfin clore le « cycle Rigaut » de Drieu, entamé avec La Valise vide. Jacques Rigaut aura inspiré son meilleur livre à Drieu. « Je me tue parce que vous ne m’avez pas aimé, parce que je ne vous ai pas aimés. Je me tue parce que nos rapports furent lâches, pour resserrer nos rapports. Je laisserai sur vous une tâche indélébile. Je sais bien qu’on vit mieux mort que vivant dans la mémoire de ses amis. Vous ne pensiez pas à moi, eh bien, vous ne m’oublierez jamais ! » Le 15 mars 1945, Drieu rejoint enfin cette « confrérie des suicidés » qu’il admirait et respectait. En mettant fin à ses jours, Drieu tombe le masque et retrouve enfin Rigaut dans une amitié scellée à jamais par une mort commune.
Jacques Rigaut – Le Suicidé Magnifique is published by Gallimard and has won the Prix de la Biographie Le Point 2020
Featured Image: Maurice Ronet in Louis Malle’s eponymous film of Le Feu Follet